Vote électronique : un rapport qui accouche d'une souris (mercredi, 16 avril 2014)
Autant poser clairement les choses, le rapport parlementaire rendu public le 14 avril 2014 par les sénateurs Alain Anziani (PS) et Antoine Lefèvre (UMP) ne fera pas date dans la littérature consacrée au vote électronique, qu'il se pratique via l'interface de machines à voter ou par internet.
Bien que ce rapport s'affiche comme critique sur l'usage des machines à voter et du vote sur Internet, les prescriptions émises s'avèrent bien faibles, voir pas très courageuses au regard des régressions introduites par le vote électronique lors d'un processus électoral. Il transpire clairement de ce document la volonté de ne pas désavouer les élus locaux qui se sont déjà engagé dans l'impasse des machines à voter et de ne pas fermer la porte aux industriels de l'informatique et à leur potentiel marché juteux du vote électronique.
Malgré le fait que ce rapport s'intitule "Vote électronique : préserver la confiance des électeurs", l'attention aux citoyens électeurs est le grand absent des prescriptions proposées. Sur le fond, comment considérer en effet que le vote électronique puisse s'apparenter à une modernisation d'un mode de scrutin quand, au vu de l'opacité et du caractère invérifiable du système de vote électronique utilisé, il s'avère désormais impossible pour les citoyens de contrôler le bon déroulement de toutes les étapes des scrutins électoraux. Comment oser s'attendre à de la « confiance » de la part des électeurs lorsque l'action de « voter » se résume dès lors à cliquer sur un bouton sans avoir la garantie que son « vote » électronique soit bien crédité au compte de voix du candidat ou de la liste de personnes de son choix. Comment évoquer une soit-disant « confiance » lorsqu'il est désormais impossible de recompter des « bulletins » (sic) dématérialisés en cas d'erreur ou de contestation. Cette confiance ne s'acquerra jamais par la délégation imposée de son droit légitime de contrôle à un tiers. Cette confiance ne pourra pas par ailleurs s'artificialiser par le bidouillage du Code électoral par les législateurs pour rendre « légal » des procédés indignes d'un pays qui veut se prétendre être une démocratie. Qu'on se le dise une fois pour toute, le vote électronique, via des machines à voter ou par internet, introduit de facto la notion de doute dans le processus électoral.
Si les sénateurs Alain Anziani et Antoine Lefèvre avaient été honnêtes dans leur démarche, on aurait pu s'attendre au minimum de leur part qu'ils apportent de la précision dans leur exposé concernant les expérimentations européennes. On aurait apprécié que les deux sénateurs rappellent que les machines à voter tour à tour désavouées ces dernières années en Irlande, aux Pays-Bas ou bien en Allemagne étaient fabriquées par l'entreprise néerlandaise NEDAP. Machines à voter NEDAP qui s'avèrent correspondre à près de 80 % des ordinateurs de vote utilisés encore à l'heure actuelle en France ! Témoignage de la persistance d'un « syndrôme de Tchernobyl » franco franchouillard qui fait toujours s'arrêter miraculeusement les questions dérangeantes aux frontières de notre beau pays ? La prescription des deux sénateurs d'un retrait pur et simple par le Ministre de l'Intérieur de l'agrément des machines à voter NEDAP aurait tenu d'un véritable courage politique. Voir à minima d'une demande d'un moratoire sur l'utilisation des machines à voter utilisées en France à l'image de celle faite en 2007 par le Parti socialiste à la veille des élections législatives. Le courage politique tant attendu sur le dossier du vote électronique sera t-il en dernier lieu à l'initiative de Bernard Caseneuve Ministre de l'intérieur fraîchement nommé ?
Aller plus loin :
- Vote électronique : préserver la confiance des électeurs" - Rapport d'information de MM. Alain Anziani et Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des lois - Rapport n° 445 (2013-2014) - 9 avril 2014
- Machines à voter : A quand le moratoire demandé en 2007 par le Parti Socialiste ?
Communiqué de presse des Alternatifs - 7 février 2013
- Abandon du vote électronique lors des scrutins électoraux : le PS se fait attendre !
Alternatifs de Bretagne – 4 juin 2013
- Lettre ouverte des Alternatifs à l’attention du Bureau National du Parti Socialiste et de son candidat à l’élection présidentielle de 2012 - 03 décembre 2011
- Le Parti socialiste demande un moratoire sur l’utilisation des machines à voter lors des élections présidentielles et législatives. - Communiqué de presse du Bureau National du Parti Socialiste - 27 mars 2007
- Vote électronique : recul démocratique à Brest !
Par Chris Perrot - 24 février 2004
- Ordinateurs-de-vote.org
Citoyens et informaticiens pour un vote vérifié par l'électeur
- Ethique citoyenne
L'éthique, l'autre dimension du pacte social
- Pétition pour le maintien du vote papier
A lire :
- « La controverse des machines à voter en France », Par Chantal Engheuard
Mémoire de Master 2 de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales soutenu le 14 septembre 2011.
- « Introduction à l'analyse de chimères technologiques, le cas du vote électronique », Editions du CNRS, Cahiers Droit, Sciences & Technologies, n°3, (2010), p:261-278.
A voir :
Interview de Chantal Enguehard, maître de conférence
au Laboratoire Informatique de Nantes Atlantique (LINA)
22:53 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : machine à voter, vote électronique, sénat, rapport, alain anziani, antoine lefèvre, brest, le hâvre, le mans, nice, élections, 2014, municipales, européennes, vote, nedap, vote papier, françois cuillandre, alain masson, moal, ayrault, ps, parti socialiste, ministère de l'intérieur, ordinateur de vote, opacité, contrôle, chantal enguehard, démocratie, allemagne, irlande, pays-bas
Commentaires
Puis-je rajouter une pièce documentaire ? le reportage télé diffusé aux Pays-Bas en octobre 2006 : https://www.youtube.com/watch?v=PYjtSgIdqf4
Écrit par : Stéphane Erhard | jeudi, 17 avril 2014